La crise financière et crise de la dette ont précipité le monde dans un cycle de changements politiques probablement irréversibles et le néolibéralisme est dès lors considéré par de nombreux économistes comme n’ayant plus d’avenir. Les militants de gauche devraient se réjouir de la fin de ce système porteur d’inégalités et d’injustices. Mais la plupart des cadres du parti socialiste n’évoquent jamais ces questions pourtant primordiales et ne montrent aucun signe de réjouissance relatifs à la fin du néolibéralisme (lien). Pourquoi une telle attitude ?
On a souvent reproché à François Hollande son manque d’enthousiasme, « son manque de passion (1) », ce à quoi il a répondu qu’ « il préfère gagner une élection présidentielle avec un peu moins d’enthousiasme que de la perdre avec beaucoup de ferveur (lien) ». Bien sûr, il pensait d'abord à ses supporters en parlant d'enthousiasme, mais on peut supposer qu'il pensait aussi à son dégré d'enthousiasme personnel.
Or pour Claude Bartolone, c’est la crise qui empêche l’enthousiasme chez les supporters de Hollande (2). Mais si la crise peut refroidir leurs ardeurs, puisqu’elle annonce des lendemains difficiles, ne constitue-elle pourtant pas une bonne raison de réjouissance, du moins pour un militant de gauche ? C’est ce que propose Ségolène Royal, en affirmant que « la crise est une chance pour changer les règles du jeu (lien) ». Et une chance, n’est-ce pas là quelque chose dont on devrait se réjouir ?
Mais changer les règles du jeu, opération indispensable – selon de nombreux économistes – à une éventuelle sortie de crise, signifiera la fin du néolibéralisme, ce système qui a conduit à un accroissement des inégalités – en jetant la plus grande partie de la population mondiale dans la précarité – au « triomphe de la cupidité » et à la crise financière (lien). Notez que pour certains observateurs compétents, la fin du néolibéralisme est déjà amorcée et irréversible, si ce n’est la fin du capitalisme lui-même (lien) (lien).
Pourtant, ce type d’argument – celui de Royal – est absent du discourt de la plupart des dirigeants du PS qui ne semblent pas franchement motivés par les perspectives de changements économiques et ne se donnent pas non plus la peine d’exposer les raisons pour lesquelles des militants de gauche – ce qu’ils sont – devraient s’en réjouir.
Jean-Luc Mélenchon apporte un élément d’explication à cet état quand il affirme que « les élites sont prisonnières des vieux schémas quand leur monde se termine.(3)» Le monde qui se termine, c’est le néocapitalisme, très probablement. Mais il faudrait sans doute ajouter que les élites – les décideurs des milieux économiques, politiques, médiatiques, etc., considérés dans leur ensemble – ont peur de la disparition des vieux schémas, c’est-à-dire des structures du pouvoir et de la répartition des richesses, parce que ce sont elles, en tant qu’élites, qui les ont mis en place ou entretenus et que ce sont ces structures qui leur ont permis d’accéder au statut d’élite. Le maintien des vieux schémas permet donc aux élites de conserver leur pouvoir et leurs privilèges.
Aujourd’hui, les structures du pouvoir et de la répartition des richesses qui déterminent le fonctionnement de la société française sont pour une grande partie façonnées par les critères du néolibéralisme qui ont été importés peu à peu en France à partir des années 80. Et le parti socialiste n’est pas resté étranger à ce phénomène. Non seulement il a participé à la mise en pratique des méthodes libérales – notamment par le biais de la politique européenne – mais son mode de fonctionnement, ses structures propres de répartition des pouvoirs ont été profondément modifiés par les conditions générales que le néolibéralisme a imposées en France.
Ainsi, on peut constater que le PS a placé à sa tête des personnalités qui sont parmi celles qui ont le plus contribué à l’adhésion progressive de ce parti au néolibéralisme, notamment en « convertissant » Lionel Jospin aux charmes des privatisations, des allègements fiscaux destinés aux plus fortunés, etc. Mais on constate aussi que le parti socialiste s’est montré très perméable à l’influence des médias dominants dans le choix de son candidat à l’élection présidentielle prochaine, médias dont la préférence pour les options libérales est généralement bien visibles à la lecture de leurs éditoriaux, pages économiques ou à l'écoute de leurs experts et chroniques économiques.
La plupart des éléphants du parti socialiste doivent donc leur statut à leur allégeance au néolibéralisme (comme la plupart des cadres de l’UMP évidement). Comment peut-on imaginer dès lors qu’ils puissent se réjouir de sa disparition ? Avec elle, bon nombre des éléments qui ont contribué depuis des années à les installer là où ils sont, à leur permettre de prendre le contrôle de leur parti s’envoleraient et les mettraient en situation de perdre leur statut. Hollande – pour prendre un exemple – aurait-il eu la moindre chance d’être un jour président si les médias dominants ne l’avaient pas soutenu à cause de ses positions passées, favorables au néolibéralisme (lien)?
On pourrait objecter, comme le fait Emmanuel Todd, que certains membres de cette classe dirigeante du PS – Hollande, dans son esprit – sont capables de s’adapter à des changements politiques importants et de faire le pari de leur pertinence (lien). Mais certains faits ne plaident pas en faveur de cette hypothèse, notamment le fait que Hollande et les dirigeants du PS ne soient pas capables de fournir une réponse politique satisfaisante à la montée de Mélenchon, qui est certainement le signe avant-coureur d’une évolution de la conscience politique – des sympathisants de gauche, mais aussi d’autres personnes – et le fait que le programme de Hollande ne prévoit pas de modifier un grand nombre des réformes de Sarkozy (lien).
On peut aussi se demander si Hollande et les autres éléphants du PS seraient capables, s’ils le souhaitaient, de parler le langage de cette nouvelle conscience politique. On parle du talent oratoire de Mélenchon pour expliquer son succès. Mais ne sont-ils pas tout deux plutôt le signe d’une plus grande adaptation – qui existe probablement aussi chez d’autres personnalités politiques de moindre importance et pas forcément du Front de Gauche – aux changements politiques désormais inévitables.
La relative platitude de la campagne de Hollande et son « manque de passion » personnel ne sont-ils pas finalement les signes que lui et beaucoup d’autres parmi les dirigeants du PS craignent que leur « monde se termine » et envisagent sans joie la perspective de la fin du néolibéralisme ? Ils auraient raison, car ils disparaitront avec lui, pour la plupart d’entre eux.
Par Gaël Michel
Notes
1. Nicolas Domenach, Ca se dispute, I>Tele, 31/3/2012.
2. Le Point.fr, 6/4/2012.
3. Médiapart, Le Front de gauche ou le succès mis sous tension, 7/4/2012.